L’exercice du blog n’est pas simple ; il laisse croire qu’il y a des choses intelligentes qui peuvent être dites et que le reste n’est que balivernes de comptoir. Je suis plutôt un homme de l’oral et j’ose plus facilement parler, sans doute parce que je ne m’écoute pas. Écrire est plus complexe, car le temps que le mot aille du cerveau à la plume, il a le temps de se dénaturer et de s’abêtir, même si l’intention est bonne. Mais il est temps pour moi d’y aller.
Je reviens de Barcelone où j’ai animé une université d’été qui travaille depuis de nombreuses années la question de l’éducation et de la formation tout au long de la vie(1). Elle s’est interrogée sur l’impact de la crise sur l’”Apprendre tout au long de la vie”, sur ce qu’elle révèle, sur les opportunités qui naissent de cette situation inédite. Pour la plupart des intervenants, cet épisode est le révélateur d’une crise bien plus profonde, qui se profile depuis de nombreuses années. C’est celle d’une perte de sens. On a oublié que l’économie, le développement sont au service des femmes et des hommes et non l’inverse ; tel « le veau d’or », la consommation a asservi le citoyen et rétabli une forme de féodalité au profit de quelques puissants dans des pays dont les gouvernements sont les intendants. Face à l’incertitude la précarité, voire l’exclusion, devient la règle et on s’habitue progressivement à ces longues files de détresse qui s’allongent le long de murs grisâtres. Comme si les bouleversements incessants du monde, le mensonge, l’hypocrisie des « grands » autorisaient nos petites lâchetés quotidiennes. Si chacun s’accorde sur l’idée que le droit à la dignité, à l’éducation et à la responsabilité, constituent les fondements de l’émancipation de toute personne, il y a loin de la coupe aux lèvres. Pendant de nombreuses décennies, le travail a constitué le plus sûr moyen d’assumer au mieux des projets de vie encadrés par des valeurs, des principes, des règles, une éthique en somme. Mais aujourd’hui, le travail se fait rare, et comme toujours, les plus fragiles sont les premiers sacrifiés. La résignation s’installe et l’on observe la situation comme si elle était inéluctable, on regarde l’avenir comme si il était écrit, telle l’apocalypse de Saint Jean.
Chez les plus jeunes, le chômage est un fait, il fait désormais partie d’un parcours de vie marqué par de nombreuses ruptures. Les replis communautaires deviennent la réponse aux incertitudes d’un monde fini. Et si l’avenir restait à inventer ? Si aujourd’hui, nous arrêtions la course infernale vers le toujours plus, toujours mieux ? Si nous sortions de nos rêves de plastique, de nos imaginaires cathodiques et de notre désespoir « prozactique » ? Si nous laissions monter la colère qui est en nous, si nous retrouvions l’impérieuse nécessité de s’émerveiller et de s’indigner ! Nous avons des moyens pour cela, en agissant en citoyen, responsable dans la cité. Face au monde associatif, souvent instrumentalisé, dépendant qu’il est de la finance publique, on voit naître de nombreuses initiatives citoyennes, des hommes et des femmes qui se lèvent, sans vocifération, hurlements inutiles, agissants au quotidien, fermes et déterminés et qui ne se résignent pas. Le développement controversé de la démocratie participative rend compte d’un intérêt réel pour la chose publique. Nombreux sont les combattants de l’ombre, mais nous ne les voyons plus ; ils nous agacent avec « leurs grèves », leurs tracts, leurs meetings, leurs films, leurs pièces de théâtre, leurs colères engagées. Nous ne les écoutons plus, bercés par les sirènes de la consommation, les miels sirupeux du crédit et la contemplation du déclin du monde, bien à l’abri derrière nos assurances vie et la certitude que les lâches, ce sont les autres. La prise de conscience du développement durable est sans doute l’un des exemples les plus engageants, même si nous n’en sommes qu’aux prémisses. Certes on peut se désoler de la bêtise humaine, mais il y a toujours une part de l’autre en nous. Chacun peut agir, à son niveau, sur son palier, dans la rue, au travail. A chaque instant, il y a des millions de gestes solidaires, des mains tendues, des choix, des décisions qui font rempart, s’opposent pour que ce soit la vie qui gagne.Rêveur, baratineur, hypocrite, j’ai comme vous sans doute un peu de tout cela, ce qui m’interdit de jeter la pierre à quiconque. Mais j’ai aussi mon quotidien, mon métier et la croyance farouche que si nous ne changeons pas le monde, il nous changera. Mon travail me conduit régulièrement à rencontrer des responsables politiques sincères, des responsables syndicaux volontaires sur les luttes essentielles, des militants associatifs bien vivants et décidés, des citoyens solidaires. Je m’applique modestement à les soutenir et à les accompagner, car ils portent en eux la dignité à laquelle nous sommes en train de renoncer. Être des leurs, l’espace d’un instant, donner un peu d’écho à leurs combats, m’engager auprès d’eux donne du sens à ma vie. Asseyons- nous un instant, loin de la frénésie, regardons autour de vous, il y a sans doute quelque chose à faire.
Je veux juste conclure, dans l’attente de vos réactions, avec cette formule des Marx Brothers:
– « Regarde, il y a un trésor dans la maison d’à coté ! »
– « Mais il n’y a pas de maison à côté. »
– « Qu’importe, nous allons la construire. »
(1) Pour ceux qui veulent en savoir plus sur cette université d’été, je vous renvoie sur le site : www.freref.eu/
Claude COSTECHAREYRE