Au fil des années, nous nous sommes attachés à développer, avec la Commune de FEYZIN, un vrai climat de confiance qui nous amène à une démarche collaborative qui dépasse la simple prestation. C’est particulièrement le cas dans ce dossier.

La ville souhaite ouvrir à l’automne 2018 un Espace Jeunes qui devra correspondre aux modes de faire de sa jeunesse. Pas encore Homo Economicus, jeunes et adolescents vivent pourtant à l’ère des usages numériques et d’un monde connecté et virtuel. Pas si virtuel que ça puisque les besoins de liens et de contacts s’expriment très forts dans les attentes des jeunes adolescents de 11 à 20 ans qui devraient être le public privilégié de cet espace. La ville nous a demandé de mettre en place un dispositif de concertation et de participation qui permette de dessiner, à égalité avec les élus et les professionnels du pôle Jeunesse, ce que sera ce lieu demain. Nous avons proposé d’organiser un atelier citoyen « jeunes ».

Le concept n’est pas nouveau : il mobilise, souvent sur 3 week-end, espacés chacun de 3 semaines environ, un panel, le plus représentatif possible, sur un territoire donné, tiré au sort, sans critères spécifiques de compétences particulières sur le sujet à traiter. L’idée est de faire appel à « l’expertise d’usage » des participants, leur demander, à partir de leur vécu, de répondre à une question précise qui leur est posée. Ils définissent librement le champ sur lequel ils veulent intervenir, font appel à des experts du sujet, des parties prenantes et au final, rédigent un avis qui sera remis au commanditaire. Cela se passe en week-end, dans un lieu dédié et quelque peu captif (c’est bien pour la concentration). Les journées sont longues, les personnes ne se connaissent souvent pas en amont, le travail est prégnant, engageant voire astreignant.

Nous avons fait le pari de réussir avec une cohorte de 30 jeunes, pour produire un cahier des charges structuré et argumenté, de ce que devra être ce lieu d’accueil qui se résume actuellement à un plateau de 200 m², situé au cœur de la Ville, dans le quartier de la Bégude. Un pari, certes, parce que pour avoir pratiqué l’exercice avec un public adulte, nous avons mesuré les complexités liées à une mobilisation du temps et des énergies dans la durée, liées à la difficulté de passer du JE au NOUS, liées à construire une vision et lui donner place dans la réalité et à bien d’autres questionnements et incertitudes. Le proposer à un public jeune pouvait relever de la gageure. La commune, les professionnels du pôle Jeunesse, les parents et plus de 25 participants de 11 à 23 ans, ont accepté de relever ce défi.

Un premier week-end a été consacré à « imaginer », sans contrainte d’aucune sorte, ce que devrait être ce lieu, comment l’aménager, comment le faire vivre, de répondre aux attentes de son public et à la volonté éducative exprimée par les élus et l’équipe d’animation. La seconde session a permis de donner corps à cette vision en mettant en lien ce qui est souhaité, avec ce qui se pratique dans des lieux proches dans leurs objectifs de ce que le panel a suggéré. Merci à l’AFEV (Association de la Fondation des Etudiants pour la Ville), au CRIJ Rhône Alpes (Centre Régional d’Information Jeunesse), au TUBA (lieu d’innovation pour la ville intelligente, à Lyon), la Médiathèque de Feyzin et l’EM Lyon, de nous y avoir aidé, en partageant leurs expériences et leurs doutes.

Les résultats sont à ce jour au-delà de nos espérances et tout en étant bien ancrés dans leur génération, ces jeunes filles et jeunes garçons se sont investis pleinement, avec toute la spontanéité, la fraicheur qui va bien avec leur imaginaire, et dans le même temps, une forme de maturité, de sens de la responsabilité et de désir d’être acteurs qui nous ont quelquefois surpris. « Vous nous avez bluffé… », disait la responsable de l’équipe, « …et je vous en remercie ».

Cécile Van De Velde, sociologue qui dirige une chaire de recherche au Canada, sur les « parcours de vie et les inégalités sociales », dans un article du Monde du 23 novembre 2017, parle de « ces enfants du siècle », de leur esprit critique, d’une génération du décalage entre un monde vécu par les adultes, en crise et en déclin, et leur monde, plus ouvert et connecté. Elle évoque, avec une grande justesse, malgré de réelles inégalités sociales, une génération plus éduquée et critique, qui cherche un nouveau sens, une forme d’existentialisme, de besoin de vivre au présent. Cette description correspond bien à ce que j’ai perçu de ces personnalités parfois très exprimées, souvent en devenir, enjouées, enfantines et adultes à la fois. A force de croire que par formation, culture et intérêt, nous les connaissons bien, peut-être n’entendons-nous plus vraiment ce qu’ils nous disent ?

 

Le second Week-end de travail vient de s’achever et il confirme la qualité de la production collective, de l’engagement, de la « maturité de ces gamins », de leur sens des responsabilités, et tout cela sans renier les modes de dire, d’être et de faire, propres à leur génération.  Mais, au fait, pourquoi sommes-nous si surpris, si « bluffés » ? Peut-être parce que nous sommes questionnés, interpellés sur nos représentations, regards et stéréotypes sur cette jeunesse trop souvent perçue comme peu cultivée, blasée, oisive, enfermée dans un monde virtuel et peu encline à s’intéresser aux choses de la vie. Pas de jeunisme, pas d’emballements excessifs, mais ces jeunes filles et garçons participent d’un démenti formel que nous vous demandons de ne pas balayer d’un revers de main, de considérer avec le respect qu’on leur doit et de prêter attention aux questions qu’ils nous posent sur le travail, sur l’autorité, sur la famille, et plus largement sur ce monde qui s’il n’est pas encore le nôtre, est déjà le leur.

Nous le leur devons, car ils ont besoin de nous, non pour qu’on leur ressasse notre « c’était mieux avant », mais pour que l’on accompagne leurs doutes et leurs fragilités en étant juste, au bon endroit, au bon moment. C’est ce à quoi nous nous essayons, avec pour l’équipe, ou au moins pour ce qui me concerne, le plaisir de se réinventer, en toute humilité, de retrouver le bonheur de l’émerveillement et de l’indignation, le désir d’apprendre et de s’amuser comme « un gamin » !

L’aventure continue et nul doute qu’elle nous réserve encore de belles surprises…

 

Claude COSTECHAREYRE